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RASSEMBLER A GAUCHE 83
24 mars 2006

Discours de Laurent Fabius - Créteil

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Discours de clôture de Laurent Fabius Créteil - 12/03/2006

Chers amis et camarades,

la première chose que je voudrais dire en ce jour, outre le plaisir que j’éprouve à me retrouver avec vous tous sous le soleil de Créteil, c’est ma solidarité, notre solidarité avec la jeunesse. Je veux réaffirmer ma demande, notre demande, notre exigence, de retrait du texte qui veut institutionnaliser la précarité et qui permet un renvoi des jeunes de leur travail sans aucun motif pendant deux ans, en guise d’entrée dans la vie. Oui, je demande solennellement au Chef de l’État et au Chef du gouvernement, avec la majorité des jeunes et avec la majorité de leurs parents, le retrait du CPE.
Chers amis, dans 13 mois les Français éliront le prochain Président de la République.

Non à la précarité

Pour l’heure et pour une immense majorité de nos concitoyens, la situation se résume par un mot : précarité.

Précarité, lorsque, en ce dimanche de mars 2006 les Restos du cœur doivent organiser une collecte nationale parce qu’ils servent six fois plus de repas qu’il y a vingt ans. Précarité, pour des millions de nos compatriotes au RMI ou au chômage, cantonnés dans des contrats courts, ou bien dotés d’un emploi mais qui ne peuvent plus en vivre. Précarité, pour des centaines de milliers de familles qui ne trouvent pas à se loger décemment, parce que les loyers explosent et que les logements bon marché manquent. Précarité, pour de très nombreuses femmes seules avec des enfants, dont le travail n’est qu’un temps partiel subi leur interdisant « d’y arriver ». Précarité, pour beaucoup de retraités modestes, de personnes handicapées, avec des pensions ou des allocations insuffisantes et des soins de santé de plus en plus chers. Précarité, celle de tant d’élèves, d’étudiants, de professeurs dont les conditions de travail se dégradent et qui, on le voit ces jours-ci, ne l’acceptent plus.

Précarité encore, la montée des violences et le recul du vivre ensemble républicain dans les quartiers sensibles, sous la menace d’émeutes urbaines qui, faute de réponses concrètes, peuvent redémarrer à tout instant. Précarité, celle qui frappe les budgets des collectivités locales essayant d’amortir le choc du désengagement financier du gouvernement. Précarité, le quotidien de beaucoup d’agriculteurs, d’artisans et de commerçants, d’entrepreneurs et de PME, sans perspectives et qui redoutent la cessation d’activité à la fin du mois. Précarité, le sentiment des parents que l’avenir de leurs enfants et petits enfants risque de comporter toujours moins de protections et toujours plus d’incertitudes. Précarité enfin, résumant tout, le fait qu’après plus de 10 ans de présidence à droite, notre pays n’a plus ni repères ni projet clair, cependant que l’Europe ballotte et se dilue dans la mondialisation libérale. Le bilan de la droite, c’est d’abord celui-ci : génération précarité.

Comment en est-on arrivé là ? Il n’y a pas si longtemps, notre modèle français d’intégration était vanté, notre système de soins et d’enseignement copié, notre goût de l’innovation et notre passion de l’universel admirés. La France était une référence, la nation où se conjuguaient l’excellence et l’égalité des chances. Ces atouts n’ont pas disparu mais ils sont enfouis ou gâchés. Pourquoi ?

La première réponse est générale : le capitalisme a changé, le capitalisme industriel a cédé la place à un hypercapitalisme financier et mondialisé. Sans idéaliser le passé, ont été balayés les compromis des trente glorieuses : entre le travail et le capital ; entre le manager, le salarié et l’actionnaire ; entre les entreprises et l’Etat. La recherche du profit maximum à court terme domine tout, lamine tout, au bénéfice de quelques uns. 1100 euros par mois pour la caissière de supermarché, 35 millions d’euros d’indemnités pour son PDG aux résultats insuffisants ! Un système qui génère de tels écarts, infondés, est une fabrique d’injustice et de colère. Et qu’explique-t-on aux salariés ? Qu’ils constituent une charge et non une richesse. Que la nouvelle règle s’écrit : « tous concurrents et que le moins cher gagne » ! Que d’autres, localisés ailleurs, peuvent produire le même travail pour trois fois moins cher à quelques centaines de kilomètres, et pour quarante fois moins à l’autre bout de la terre. Dérèglements qui conduisent à des impasses dramatiques y compris concernant la survie même de notre planète : bouleversements climatiques, énergie coûteuse, inégalités ravageuses, déforestation, manque d’eau potable, maelstrom de périls sanitaires. La précarité n’est plus aux marges du système, elle est en son cœur. Si la gauche ne dénonce pas cette réalité, si elle ne la change pas, qui le fera ?
Par son action et par son inaction, la droite française porte une responsabilité spécifique lourde. En une législature, deux Premiers Ministres de droite se seront succédé : M. Sarkozy a été ministre des Finances de l’un et ministre de l’Intérieur des deux. Bilan : la dette du pays n’a jamais été aussi lourde et le nombre des agressions contre les personnes jamais aussi grave. Cela n’empêche pas l’intéressé, avec l’appui de certains médias, de faire comme s’il n’avait jamais appartenu à ces gouvernements de l’échec et comme s’il n’était pas le chef du parti qui les inspire. La réalité, c’est que MM. Sarkozy, de Villepin, Chirac, Raffarin laisseront après eux une France malheureusement en déficit, une recherche en panne, une croissance en baisse, une précarité en hausse.
L’absence de projet européen aggrave encore le manque de repères. Budget communautaire raboté, soutien aux territoires sacrifié, harmonisation sociale et fiscale ajournée, délocalisations et OPA hostiles multipliées, élargissement non financé : il faudra reprendre la construction de l’Europe à peu près là où Mitterrand et Kohl l’avaient laissée : non pas l’Europe de la dilution économique et géographique, mais une vraie Europe-levier, levier pour elle-même, pour les pays qui la composent et pour le monde. Ce sera la tâche de l’après 2007.
Pour une France forte, solide parce que solidaire

Chers amis,

Au cours des dernières années, nous avons eu le temps de dresser rétrospectivement le compte du bon et du moins bon. Refusant la langue de bois, nous n’avons pas confondu la déroute du 21 avril 2002 avec un simple accident électoral. Ni les belles victoires collectives du printemps 2004 avec un chèque en blanc. Quels qu’aient été nos votes, nous n’avons pas interprété le référendum du 29 mai 2005 comme un geste d’humeur de nos concitoyens. Quand le peuple s’exprime, il faut écouter son message. Désormais nous nous tournons vers l’avenir. Les Français sont déroutés, souvent en colère froide contre la situation actuelle, ils ont des attentes vives. A nous d’y répondre, sur le fond : améliorer le quotidien, rendre un avenir aux jeunes, une maîtrise de son destin à l’Europe, un projet à la France, voilà les grands défis.

Cela veut dire que, pour nous, la précarité généralisée n’est pas une fatalité : 2007 se jouera beaucoup sur la volonté. L’enjeu principal est là : ou bien avec la droite une France précaire et sans repères, ou bien avec la gauche le projet d’une France solide et solidaire, solide parce que solidaire.

Nos objectifs et nos valeurs

Le candidat de la droite plaidera - il plaide déjà - que la France étouffe sous les règles, que la précarité n’est pas à regretter mais à cultiver, que le marché peut tout et l’Etat pas grand-chose, que la République s’arrête en fait où commence le boulevard périphérique, et la fraternité où commence la carte d’identité.

Ces idées sont fausses. Elles sont archaïques. Elles sont dangereuses. La France, même affaiblie par la politique de la droite, conserve d’importants atouts. Nous avons un modèle social qui repose, même s’il faut certainement les améliorer, sur des mécanismes de solidarité. Nous avons des services et des équipements publics, certes à moderniser, mais qui restent meilleurs que chez la plupart de nos voisins et qui rendent attractif notre territoire. Nous consacrons des fonds importants, quoiqu’insuffisants et mal orientés, à la formation. Ce que certains présentent comme une charge, voire comme un boulet, constitue en réalité la clé du futur et une véritable chance pour un pays comme le nôtre. Ceux qui réclament une révolution thatchérienne pour la France, qui veulent réduire le périmètre de l’intervention publique, réduire l’approche solidaire, réduire le social, ceux-là qui se disent modernes ont vingt ans de retard. Ils n’ont pas anticipé que, dans la période qui s’ouvre, face aux désordres de la mondialisation libérale, face au vieillissement de notre population et aux déchirures de toutes sortes, ce sont la solidarité et la ressource humaine qui constitueront notre force. Ils n’ont pas intégré que, face à la puissance des marchés, l’intervention publique est souvent nécessaire. Ils n’ont pas compris que, plus la Nation est diverse, plus la laïcité et la République nous soudent et nous protègent.

Car telles sont bien nos valeurs. Elles n’ont pas changé en changeant de siècle. Elles s’appellent égalité et laïcité, liberté et créativité, justice sociale et émancipation individuelle, développement durable et progrès, respect et dignité. La France ne sera plus forte que si elle sait être plus solidaire.

Cher amis,

Le Parti Socialiste doit être le parti de la volonté politique. Alors, montrons-le. Non pas, en ignorant les changements à opérer, qui sont considérables et seront parfois difficiles. Pas non plus en cultivant un positionnement politique ambigu. Mais par un projet clairement de gauche et par une stratégie de rassemblement à gauche. Un débat existe pour savoir s’il faudra ou non annuler les mesures les plus injustes de la droite. Nous ne devons pas hésiter : nous les abrogerons, par cohérence élémentaire avec ce que nous sommes et avec ce que nous voulons. On ne peut pas dans l’opposition et à la télévision, dénoncer à juste titre le CPE, le CNE, les lois Fillon, et s’en accommoder une fois revenus aux responsabilités et dans les ministères. Et puisque M. Sarkozy nous y invite, imaginons « la France d’après » 2007, d’après MM. Chirac et Sarkozy.

Avec la gauche et avec les verts, nous agirons pour que le chômage massif et la précarité de l’emploi fassent place à la croissance et à la sécurité du travail. Nous nous mobiliserons pour que la crise du logement et la spéculation immobilière fassent place au logement décent et accessible. Nous ferons en sorte que les discriminations reculent et qu’un Français de couleur habitant Les Mureaux ou Bondy, qui cherche un emploi, voie son CV vraiment examiné et pas jeté à la poubelle. Nous ne répondrons pas matraque quand la jeunesse parlera d’avenir. Nous redonnerons à la réforme sa signification véritable : un changement vers le progrès et non un recul social.

Nos objectifs prioritaires s’appelleront emploi, logement, savoir. Ils s’appelleront santé et recherche, services publics de qualité et sécurité - qui est un droit fondamental sur lequel nous serons fermes. Rémunération plus juste du travail et répartition plus équilibrée de la richesse et du territoire. Développement durable et démocratie décentralisée et vivante. Relance et redressement de la construction européenne. Nous soutiendrons activement nos PME parce que ce sont elles qui peuvent créer des emplois et doper la croissance. Nous travaillerons pour que l’Etat soit actif et réactif, laïc et impartial, protecteur et innovant. Pour que chaque citoyen puisse avoir confiance dans la justice et n’ait plus honte de nos prisons. Pour que les jeunes ne soient plus traités à coups de « racailles » et les quartiers à coups de kärcher. Pour qu’on fasse de nouveau confiance au message universaliste de la France, à son respect des droits de l’homme, que sa voix et sa langue portent à nouveau dans le monde. Notre objectif, mon objectif, c’est une société ou la diversité - d’origines, de croyances, de générations, de préférences, le visage moderne de la France - soit valorisée comme elle le mérite, mieux soit mise au service de l’unité.

Pour une République laïque

Chers amis,

Les défis de la promotion sociale et de l’intégration nationale sont lourds, parfois gigantesques, mais ils sont décisifs, puisqu’il s’agit du contenu de l’égalité, des droits et des devoirs au sein de notre République, bref de rebâtir notre « vivre ensemble ». Face à ces défis, certains professent le repli communautariste : organiser la société en une juxtaposition de groupes définis par leurs origines géographiques ou ethniques, leurs croyances philosophiques ou religieuses. Une variante civile de ce qu’est le libéralisme en matière économique : ici les riches, ailleurs les pauvres ; ici les hommes, ailleurs les femmes ; ici les blancs, ailleurs les autres. Fasciné par le modèle américain, le chef de l’UMP est le fer de lance de cette conception.

Cette pseudo solution communautariste n’a jamais été la mienne et elle ne le sera jamais. Elle empêche l’épanouissement des jeunes, l’émancipation des femmes, reléguées au rôle d’éternelles mineures, éternelles soumises, éternelles victimes, alors que c’est par elles que passe une intégration réussie. Elle prétend faire coexister des différences, mais elle porte en réalité des conflits en germe : mes intérêts contre les tiens, mon territoire contre le tien, mes croyances contre les tiennes et ma mémoire contre la tienne. Elle fait le lit des intégrismes. Au contraire, il faut que chacun, avec ses spécificités, se sente à l’aise dans la République et puisse pleinement y réussir. Beaucoup de progrès restent à accomplir pour que la République retrouve tous ses enfants et offre la même perspective de fraternité à tous. Alors, prenons les dispositions concrètes pour le faire (logement, emploi, école, loisirs). Pour ma part, je n’accepterai jamais de parler du creuset républicain au passé, de considérer nos valeurs comme de la ringardise. Respectons les différences de cultures, de croyances et de foi, agissons pour que chaque culte puisse être pratiqué à égalité de droits, mais cantonnons-les dans la sphère des choix individuels et des pratiques privées. C’est pourquoi, dès le Congrès de Dijon, je m’étais exprimé en faveur de l’interdiction des signes religieux à l’école. Certains dirigeants s’étaient alors montrés hésitants, voire hostiles. Cela ne m’a pas détourné de ma route et, aujourd’hui, je le redis avec clarté : le candidat de droite sera celui des communautarismes, le nôtre doit être celui de la citoyenneté. Par une politique d’égalités en actes, nous ferons en sorte que chacun se reconnaisse dans la République et y trouve vraiment sa place. La loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ne sera pas modifiée. Nous refuserons tout fichage ethnique de la population. Je défendrai et je promouvrai, parce qu’elle est la clef du « vivre ensemble », la laïcité.

L’urgence

Chers amis,

Depuis quelques mois, un excellent travail a commencé pour préparer notre projet sous l’impulsion d’Henri Emmanuelli. Je souhaite que l’issue de ce travail nous rassemble. Il faudra articuler les objectifs et les valeurs que je viens de rappeler avec des mesures d’urgence, à prendre dès les premiers mois. Car il ne s’agit pas seulement pour la gauche de gagner l’élection, mais de conduire ensemble la nation. Je pense notamment que cinq urgences s’imposeront, pour lesquelles je veux citer dès maintenant au moins une disposition précise. En soulignant que cette liste devra être discutée, complétée, modifiée par l’ensemble des socialistes et avec nos partenaires. Et en ajoutant que cet agenda suppose que tout ne soit pas balayé par la survenance dans cette période d’une pandémie, oui d’une pandémie majeure, dont les experts semblent parfois plus préoccupés que les autorités politiques en place.

1. Urgence pour l’emploi, le pouvoir d’achat et les retraites : s’il n’a pas été retiré dans l’intervalle, nous abrogerons immédiatement le CPE et nous lancerons un vaste plan pour l’emploi comportant notamment des emplois-sécurité-formation pour les jeunes sans qualification, cependant que nous négocierons avec les partenaires sociaux l’établissement d’une sécurité des parcours professionnels. Nous relèverons aussitôt le SMIC pour aller ensuite vers un minimum de 1500 € et nous réunirons une Conférence salariale pour tracer les chemins de la relance économique avec l’ensemble des représentants des salariés et des employeurs. Avec les partenaires sociaux toujours, nous engagerons une négociation pour garantir à chacun une retraite décente : c’est l’enjeu d’un retour aux dix meilleures annuités pour le calcul des pensions les plus modestes.

2. Urgence pour le logement - c’est l’élu d’une ville, Grand-Quevilly, qui compte plus de 70 % de logements sociaux qui s’y engage - et urgence pour les services publics : nous initierons un programme annuel de construction de 120 000 logements sociaux, avec la création d’un service universel gratuit de caution locataires-propriétaires. Nous rendrons à EDF son caractère 100% public et nous restaurerons les missions de service public de GDF. Nous garantirons une présence des médecins libéraux sur l’ensemble du territoire, et d’abord là où ils manquent, c’est-à-dire dans les campagnes et dans les quartiers.

3. Urgence pour l’école, l’université, la culture et la recherche : nous érigerons notre recherche scientifique en grande cause nationale, renforcerons l’encadrement des étudiants dans les premiers cycles, instaurerons un droit d’accès aux meilleures filières dans chaque lycée. Nous redonnerons à la politique culturelle ses moyens et son rang.

4. Urgence pour le vivre ensemble et l’égalité en actes : nous établirons un service civique obligatoire et une charte sur la laïcité dans les services publics. Nous rétablirons immédiatement les moyens des associations dans les quartiers. Nous préparerons pour l’automne 2007 des états généraux de la jeunesse.

5. Urgence pour la construction européenne : nous devrons engager un renforcement budgétaire et un nouveau processus institutionnel qui refusera la dilution dans l’Europe libérale et sera centré sur les institutions, les valeurs de l’Union et la Charte des Droits fondamentaux. A nos partenaires historiques et d’abord à nos amis Allemands, nous proposerons une initiative de croissance et d’emploi : grands programmes industriels, champions européens, emprunt consacré à l’innovation et à la recherche, accès privilégié des PME, qu’il faudra beaucoup plus soutenir, aux marchés publics. Je crois à la perspective des trois cercles. La zone euro doit pouvoir constituer le premier cercle pour cette relance, reposant effectivement sur un rôle plus actif de l’euro et sur une politique volontariste de développement et d’harmonisation sociale vers le haut.

Changer vraiment

Ces urgences ne sont pas exhaustives et elles sont, je le répète, à discuter. Elles impliqueront un collectif budgétaire qui abrogera les dispositions fiscales les plus injustes. Elles s’accompagneront d’un cadre politique profondément renouvelé. Car les Français n’attendent pas seulement un changement de politique, ils veulent aussi changer la politique. Dans ce but, le nouveau chef de l’Etat devra soumettre à référendum populaire les changements nécessaires pour l’établissement d’un vrai régime parlementaire et pour une démocratie plus participative. Ce référendum comportera notamment la parité entre ministres femmes et hommes au sein du gouvernement, un rééquilibrage des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et l’Assemblée nationale, l’addition d’une dose de scrutin proportionnel au scrutin majoritaire, la limitation drastique des cumuls de mandats, ainsi que l’extension aux élections locales du droit de vote aux étrangers installés régulièrement et durablement sur notre sol. Nous donnerons à la démocratie sociale toute sa place en consacrant le rôle des organisations syndicales. Nous abrogerons les dispositions iniques des lois Perben, tirerons les conséquences des récents fiascos judiciaires et lancerons un plan indispensable d’humanisation des prisons. Cet ensemble, concret, de mesures d’urgence devra intervenir dans les six premiers mois qui suivront les échéances 2007.

L’alternative sera donc beaucoup plus que l’alternance. Elle ne pourra s’opérer, je l’ai dit, que sur une ligne de rassemblement à gauche. C’est pourquoi, il est significatif et précieux que soient aujourd’hui représentées à Créteil non seulement les sensibilités du Parti Socialiste mais, à gauche, toutes celles qui veulent contribuer, dans une perspective gouvernementale, au rassemblement. Je les remercie et je remercie beaucoup Laurent Cathala de nous accueillir. Jouons collectif comme nous le faisons aujourd’hui : là est la clé du succès. C’est à une équipe du changement que les Français accorderont leur confiance.

Tirer les leçons de l’expérience

Chers amis,

J’entends dire : « Fabius a changé ». Ce qui évite d’ailleurs souvent de répondre sur le fond à mes propositions. Il est exact que j’ai analysé - et je ne suis pas le seul ! - les changements du capitalisme et ceux de l’Europe libérale actuelle, ainsi que leur impact pour la France. Il est également exact que je connais de longue date, peut être mieux que d’autres, les milieux économiques et que je ne crains pas là aussi de tirer les leçons de l’expérience. Dans mes responsabilités, j’ai été confronté aux phases de croissance et aux phases de crise, j’ai connu successivement une Europe qui produisait de l’avenir et une Europe qui bute sur l’impuissance. J’ai mesuré l’impact et les formes de la mondialisation, j’ai accompagné la gauche dans ses succès et ses échecs. Des uns comme des autres, y compris bien sûr pendant le gouvernement de Lionel Jospin, je prends ma part. Et c’est à la lumière de tout cela que je dis que nous devons modifier certains choix du passé pour mieux faire face aux défis de l’avenir. Croyez-moi, si nous sommes clairs sur les objectifs, sur les moyens réalistes pour les mettre en œuvre, nous ne serons pas seuls ! Il n’y a pas que la liberté qui soit contagieuse, la solidarité l’est aussi.

Au cours des années, j’ai pris des positions qui au début sont parfois apparues minoritaires au sein des instances du PS - par exemple en faveur de la social-écologie, pour la loi sur les signes religieux à l’école, contre les délocalisations, pour réorienter l’Europe, ou tout dernièrement pour refuser qu’on puisse se dire socialiste et traiter de sous-hommes d’autres hommes -, ensuite ces positions se sont souvent imposées. Si j’ai fait ces choix, c’est que ce qui compte ce n’est pas de suivre les modes - qui varient souvent et que les urnes finissent pas contredire - mais d’avoir le courage de ses convictions et la volonté qu’exige le service de la nation. Je suis membre du Parti Socialiste depuis plus de 30 ans et élu d’une circonscription ouvrière depuis plus de 20. Parce que l’avenir vient de loin, j’entends comme chacun ici être fidèle à l’histoire du socialisme français et à ceux qui l’ont incarné. Jaurès, ou la synthèse entre le socialisme et la République. Blum et l’exigence morale. Mendès et le besoin de vérité. François Mitterrand, dont nous n’avons pas attendu le 10ème anniversaire de sa disparition pour nous reconnaître dans ses combats : chercher à rassembler les socialistes sur une ligne juste, puis toute la gauche, puis une majorité des Français pour inscrire notre action de changement dans la durée. Le contexte, mondial, européen, français, a changé et j’en tiens compte, mais ces exigences là n’ont pas changé.

Car, à l’heure des choix, les électeurs iront au fond des choses. Ils voudront savoir ce que notre politique peut changer concrètement et quelles sont les valeurs qui l’animent. J’ai des convictions, je formule des propositions : je veux les faire partager. C’est le sens de mon engagement pour les échéances qui viennent.

Nos quatre vérités

Ainsi rappelés nos valeurs et nos objectifs et indiqué nos urgences, les unes comme les autres ne prendront leur sens que si elles nous permettent de répondre à une interrogation et même à une angoisse collective qui monte : où va la France ? Où allons-nous ? Où nos enfants en seront-ils après nous ? Pour cela, je propose de dire aux Français ce que j’appellerai nos quatre vérités. Sur la dette, sur la science, sur l’école, sur la planète. Et en définitive, sur l’avenir de la France.

• La dette : la poursuite des déficits actuels, rendus vertigineux par la droite, créerait une situation inconnue et presque invraisemblable. Nous sommes engagés dans une spirale pas seulement grave et injuste : immorale, nous vivons aux frais de nos enfants ! L’effort durera 10 ans. Si l’unité nationale ne se réalise pas autour d’une politique financière de grande nation, nous perdrons les moyens d’agir, chaque euro nouveau sera consacré à rembourser la dette et non à préparer le futur, nos quelques régions riches agiront chacune pour soi, mais les autres seront étranglées et la collectivité nationale sera exsangue. Nos dépenses devront donc être réexaminées scrupuleusement afin de pouvoir financer nos priorités. Il faudra être audacieux, mais il faudra être sérieux. Ce n’est pas seulement une affaire de solidarité nationale mais de défense nationale.

• La Science. Là aussi, la patrie est en danger. J’ai voyagé en Chine, aux Etats-Unis, en Inde et chez nos grands concurrents. J’ai pu débattre avec beaucoup de leurs dirigeants. J’ai vu où ils en sont. Ils en sont là où ils avaient prévu d’être il y a 10 ans. Ils savent où ils vont : vers le sommet. La France, si elle ne relance pas sans délai et pour longtemps ses moyens consacrés à la recherche, sera rayée de la carte scientifique, technologique et donc économique. La communauté scientifique le sait. L’opinion s’en doute. La droite ne s’y intéresse pas suffisamment. Il s’agit de crédits, mais aussi de structures et de cadres juridiques. Il s’agit de savoir fondamental mais aussi de ses applications, pour permettre à nos entreprises, pas seulement les plus grandes, d’exister et de réussir dans l’Europe et la mondialisation. Là aussi, c’est une question de sécurité nationale, d’existence et rayonnement de la France au cours de ce siècle.

• L’Ecole. Une refondation de notre système scolaire et universitaire aura fatalement lieu. Elle est déjà en cours - mais au profit des plus riches et au détriment de l’école de la République. Nous devons, avec esprit de dialogue et en faisant confiance aux enseignants, refonder et bâtir un système renouvelé et juste, une école authentiquement publique et laïque. C’est encore une affaire de Défense Nationale. Et précisément, comme Victor Hugo en rêvait, puisque notre système de défense est plutôt périmé et coûteux, je propose, sans baisser la garde, de le moderniser en profondeur pour l’adapter au XXIème siècle, et de transférer la totalité des sommes ainsi dégagées vers l’école, depuis la petite enfance jusqu’aux universités. C’est audacieux mais raisonnable et bon pour la patrie en danger.

• La planète. Diagnostic : nous sommes en train de la détruire. Pronostic : les dommages vont s’accélérer et s’aggraver. Thérapeutique : il faut changer de paradigme et pratiquer un développement social, économique et écologique, un authentique développement durable. C’est une nécessité absolue. Au cœur du développement durable, une nouvelle politique de l’énergie s’impose : économies d’énergie à augmenter massivement ; énergies renouvelables dont nous devons devenir les champions ; transports de demain ; énergie nucléaire certes, mais pas tout-nucléaire ; et sur tous ces points approche la plus européenne possible. La nouvelle donne énergétique va façonner le monde nouveau. La France doit y avoir sa pleine place. Elle le peut si elle retient ces choix là.

En énonçant ces quatre vérités, je vous parle de l’essentiel, de ce qui compte à l’heure des décisions, c’est-à-dire de notre avenir et de celui de la France. Oui, ce dont il s’agit c’est en définitive la grandeur de la France. Notre pays n’est pas condamné au déclin. La politique n’est pas condamnée au renoncement. En métropole comme outre-mer, la France a sa place dans le futur. La France peut être de nouveau en tête et les Français renouer avec la confiance, si nous savons mobiliser les volontés, en particulier la jeunesse, autour d’un projet d’épanouissement de notre Nation républicaine, au sein non pas d’une Europe-ventre mou de la mondialisation libérale mais d’une Europe-levier, d’une Europe-puissance.

Chers amis,

Je veux que notre pays retrouve non seulement sa fierté en lui-même, mais qu’il apporte, de nouveau, à d’autres dans le monde, et d’abord à l’Afrique, et d’abord aux plus pauvres, des réponses, des valeurs, des espoirs. Avec notre victoire en 2007, la France peut redevenir forte, écoutée, respectée. Solide parce que solidaire. Vive la République ! Vive la France !


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