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RASSEMBLER A GAUCHE 83
17 avril 2006

L'HUMANITE

Quels enseignements tirer du mouvement contre le CPE ?

HD : Après deux mois de manifestations contre le CPE, le gouvernement a fini par remplacer l’article 8 de la loi dite Egalité des chances par un autre dispositif. Quelle analyse vous faites de ce mouvement et de ses répercussions immédiates ?

Jean-Christophe Le Duigou : C’est une victoire exceptionnelle. Exceptionnelle eu égard à l’unité syndicale atteinte pendant la mobilisation. Unité sans faille des confédérations, unité avec les organisations des étudiants, intersyndicale à douze... Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de problèmes. Mais on a évité tous les faux pas. Il faut remonter loin pour en trouver une semblable du point de vue syndical. En 1995 le plan Juppé s’est appliqué malgré tout. Au-delà de l’article 8 sur le CPE, les jeunes et les salariés ont exprimé leur refus de la précarité comme modèle d’adaptation sociale. C’est une avancée claire dans la prise de conscience du salariat. Il va maintenant falloir que nous répondions aux attentes qui se sont faites jour dans le mouvement : emploi des jeunes, réduction de la précarité... Des attentes en direction des syndicats mais aussi des attentes politiques.

Claude Debons : Cela fait maintenant pas mal d’années que nous sommes en situation très défensive. Cette victoire fait beaucoup de bien. Le CPE était une réforme de trop. Elle a cristallisé une résistance très majoritaire dans la population et une convergence de la jeunesse et des salariés... C’est très important du point de vue politique mais aussi symbolique : le mouvement social a pris conscience de sa force, de sa capacité d’union et de rassemblement. Maintenant, il reste beaucoup à faire pour faire reculer la précarité. Ce mouvement anti-CPE a posé de manière centrale un véritable enjeu de société : est-ce que le modèle social doit être la précarité étendue ? La sécurité dans l’emploi est devenu une question centrale du débat publique. Je crois que l’on a eu affaire en quelque sorte à une réplique sociale du séisme politique du 29 mai 2005, avec derrière le rejet de la précarité étendue, le rejet du modèle social libéral. J’ai tendance à penser que nous sommes au début d’un renversement de cycle. Après avoir eu un cycle de libéralisme triomphant, balayant tout sur son passage, on rentre peut-être dans une phase où le modèle de développement va être interrogé et où la pression va s’exercer pour plus de sécurité, plus d’égalité, plus de justice sociale...

Alain Obadia : Je voulais insister sur le lien entre ce qui vient de se passer et le 29 mai. Ce sont des luttes contre la précarité, contre les orientations libérales. Ces deux évènements montrent que l’intervention populaire, des citoyens permet de changer la donne. Dans la mobilisation on a constaté la participation active des jeunes, une nouvelle génération vient de faire l’expérience tout à la fois de la malfaisance du libéralisme et de l’efficacité de la mobilisation, de la lutte, d’une recherche commune d’un autre modèle de développement, d’alternative. Une des grandes tâches politiques qui sont devant nous sera de nous attaquer en grand à la précarisation de la société.

Laurent Fabius : Succès du mouvement, unité syndicale, lien entre les jeunes et les salariés, choix central à faire entre précarité et solidarité, rejet du modèle libéral, nouvelle génération citoyenne : je me retrouve dans ces analyses. Je voudrais ajouter une remarque. L’interprétation des évènements fait historiquement partie de la réalité. De ce point de vue, je m’inscris en faux contre ce qui est aujourd’hui affirmé par la droite politique. Elle nous dit : le CPE était une bonne mesure, mais elle a été mal comprise. Au contraire ! C’est parce qu’ils ont parfaitement compris ce qui était en jeu que les jeunes et les salariés ont réussi à rendre ce mouvement de refus si puissant. La droite nous dit aussi que la France est impossible à « réformer ». Non ! Le Cpe n’était pas une réforme, mais une régression. Il n’y a réforme que lorsqu’il y a progression collective ou individuelle. Pour réformer, il faut d’abord établir un constat partagé, mener une concertation, prendre une décision qui puisse aboutir à une amélioration des situations collectives, et évaluer la réforme. On nous répète enfin que la France décline : ce n’est nullement une fatalité, déclin ou progrès cela dépend de la politique menée. La France est une nation éminemment politique. Ce qui s’est produit en France, c’est quelque chose qui est ressenti dans d’autres pays mais qui n’a pas eu de conséquences sociales aussi fortes, de mouvement aussi puissant, ni, souvent, de traduction politique. De ce point de vue, les jeunes et les salariés qui se mobilisent ne le font pas seulement pour eux-mêmes. Ils le font pour ceux et celles qui dans d’autres pays sont soumis aux mêmes difficultés.

Enfin, sur le plan politique, il est surprenant mais significatif qu’une partie de l’opinion interprète la sortie de cette crise comme un succès de Monsieur Sarkozy. En réalité, le Président de l’UMP est largement responsable de tout cela. Le CPE est une co-production Chirac, Villepin, Sarkozy. Ce dernier a d’abord totalement soutenu cette mesure, qui incarne la fameuse rupture dont se veut porteur. Puis, par une opération de prestidigitation, soutenue par certains médias, il s’est présenté comme celui qui a dénoué la crise. Il en est co-responsable. Sur le plan politique, c’est très important de bien situer les responsabilités.

Jean-Christophe Le Duigou : Ce mouvement a démontré qu’en France le fondement du social a une dimension politique profonde. Les termes du débat ne sont pas statu quo contre réforme. On a cherché à nous enfermé là-dedans en disant que les syndicats sont conservateurs. Le 1er ministre disait ne pas vouloir perdre son temps à discuter avec des syndicats qui ne feront que défendre les acquis... La vérité, c’est qu’au nom des dysfonctionnements du système des mesures ont été prises qui vont encore plus loin dans l’application du système. C’est une position éminemment dogmatique. 5 millions de personnes sont durablement exclus du marché du travail, que propose-t-on ? Il y a des exigences de qualifications, de formations, de sécurité ensuite dans la vie professionnelle : ces débats doivent être ouverts. Le fait d’avoir, par ce mouvement, explicitement posé le lien entre le perception globale de la précarité, la question de l’emploi comme élément structurant de cette précarité et la question du travail à l’intérieur de la question de l’emploi, va peser sur les débats sociétaux et politiques à venir. On ne pourra pas échapper aux questions sur la politique économique, la conception que nous avons du plein emploi, le lien entre les système sociaux et la gestion des entreprises.

Laurent Fabius : Ce qui s’est passé est important également par les conséquences à tirer sur le mode de gouverner. Le gouvernement par surdité et par oukases est disqualifié, de même que cette approche erronée de la démocratie qui consiste à dire : « comme nous avons la majorité des députés à l’assemblée nationale, nous pouvons décider n’importe quoi. Le peuple a voté en 2002, rendez-vous dans cinq ans ». C’est aussi quelque chose que la gauche doit méditer pour l’avenir.

On a beaucoup parlé de la durée des contrats durant cette période, mais ce ne sont pas les contrats qui créent des emplois, c’est la croissance. La droite a tort de dire : la précarité va créer des emplois. Le contrat de base, ce doit être le contrat à durée indéterminée. On admet dans certaines circonstances qu’il puisse y avoir des aménagements, mais de toute façon, je le répète, c’est la croissance qui crée les emplois. Et la question au fond, c’est : comment faire en sorte, dans le cadre d’un partage différent des salaires et des profits, que les salariés bénéficient d’emplois et de revenus suffisants ? Comment relancer la croissance ? Cela implique un soutien de la demande (le pouvoir d’achat) et une dynamisation de l’offre (entreprises et collectivités publiques).

CLaude Debons : Je voudrais rebondir sur ce que dit Laurent Fabius. La dérive autoritaire que l’on observe dans la manière de gouverner mais aussi dans un certain arsenal juridique qui s’est mis en place ces dernières années, est le pendant d’une faible adhésion sociale au capitalisme libéral. Un modèle qui promet comme avenir une régression sans fin par la mise en concurrence des systèmes sociaux à l’échelle de la planète ne peut pas susciter d’adhésion même partielle, comme avait pu le faire le capitalisme des 30 glorieuses, à travers des politiques de redistribution qui améliorait les conditions de vie, les conventions collectives... les luttes permettaient d’améliorer les choses. Au début des années 80, les couches salariales supérieures des secteurs ouverts à la concurrence internationale, mais où la compétitivité des entreprises françaises permettait d’être les vainqueurs de cette guerre économique mondiale, ont pu adhérer à cette nouvelle vision. Or ce que l’on observe, notamment depuis les années 1990, c’est que ces salariés (ingénieurs et cadres) ne sont plus à l’abri des délocalisations, de la concurrence, ils n’échappent plus aux licenciements collectifs. C’est de ce double point de vue que je disais que nous sommes peut-être à un retournement de cycle. Cependant attention, l’alternative peut prendre deux formes : celle de la rupture autoritaire de droite ou celle la rupture de gauche le modèle libéral.

Alain Obadia : On voit bien qu’aujourd’hui dans chacune des luttes concrètes affleurent des questions de choix de société, même quand on est sur des questions très précises.

Laurent Fabius : Les questions sont enserrées les unes dans les autres, ce qui nécessite une profonde réorientation au niveau mondial, européen et national. En Europe, il faut à la fois tenir compte du vote contre la constitution et de tous ceux qui, plus largement, ne sont pas d’accord avec l’orientation actuelle de l’Europe. Nous devrons porter en Europe une autre politique, offensive et défensive. En offensif, sur le plan des orientations sociales et monétaires, de la banque centrale européenne, du budget, de la recherche, de l’industrie... En défensif, il faut une autre politique de la concurrence, des OPA, des normes, de la qualité... Au niveau français, j’ai évoqué la croissance : dans une société où le travail reste une matrice déterminante, elle est indispensable même s’il faut modifier son contenu pour aller vers un développement durable. La question à laquelle il va falloir répondre, c’est la question du partage salaire/profit, et donc il faut aller vers une revalorisation des bas et moyens salaires, une vraie politique industrielle, une « sécurité professionnelle » : comment faire pour que le CDI redevienne le contrat de base ? En pénalisant ce qui encourage la précarité, y compris à travers des mécanismes fiscaux : charges sociales et impôts sur les sociétés. Il y a déjà la sécurité sociale, la sécurité publique : doit naître une véritable sécurité professionnelle, pour que chacun puisse se retrouver, soit en formation, soit avec un emploi, avec de véritables droits. Tout cela pose aussi la question des services publics, parce que les services publics sont un élément majeur anti-précarité. Le service public, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Cela pose aussi la question du logement parce que s’il y a précarité du travail et du salaire, il y a précarité du logement, des relations affectives, précarité de la vie. Bref, est-ce que c’est la finance qui est prédominante ou est-ce que nous allons arriver à changer les choses pour que ce soit autour de la personne humaine que tout se bâtisse ? Ce qui est en cause, c’est notre réponse à la mondialisation libérale et financière. Précarité ou solidarité, c’est le combat de fond.

Jean-Christophe Le Duigou : Je voudrais répondre à l’idée de changement de cycle. A mon avis, rien n’est acquis même si incontestablement ce qui vient d’arriver va dans le bon sens. Rien n’est acquis parce qu’il faut travailler à des réponses. Ce sont elles qui feront qu’il y aura ou non changement de cycle. Sans ça, je sens les pressions énormes qui nous pousseront : on s’attaque quand même à des puissances considérables dont il s’agit de prendre l’exacte mesure A partir de là, je pense qu’il y a plusieurs débats qui s’ouvrent. Notamment autour de cette idée de sécurité, de sécurisation des parcours professionnels. Cette « sécurisation des parcours professionnels » doit clarifier son objectif. Ce n’est pas la sécurité pour la sécurité, c’est développer les compétences, les qualifications en relation avec des objectifs élevés d’emploi, de nouvelle politique industrielle, de développement des services utiles... on n’est pas dans une logique de pure cohésion sociale, il faut qu’elle se bâtisse autour de quelque chose qui a le sens d’un projet. De ce point de vue, l’équilibre de sous-emploi dans lequel on est structurellement, ça conduit à la précarité. Si on veut être capable d’opposer une autre vision de la solidarité et d’organisation, il faut rompre avec le sous-emploi et essayer de se donner un objectif de nouveau plein emploi avec un certain nombre d’outils. C’est qu’on a besoin pour ça de nouvelles institutions. D’où les propositions de la CGT sur la sécurité sociale professionnelle, les fonds de financements de l’emploi et de la formation, la responsabilité sociale des entreprises. Enfin, je crois qu’il y a un enjeu de démocratie sociale. Le gouvernement voulait court-circuiter les organisations syndicales et une partie de la réaction est due à la volonté d’affirmer au contraire le rôle des organisations syndicales. Il y a aujourd’hui non pas un enjeu de reconnaissance des organisations syndicales - je suis le premier à dire que l’on est trop faible : on a pu faire ce qu’on a fait en deux mois avec 2,5 millions de syndiqués, imaginons ce que l’on aurait pu faire avec 4 millions ou 5 millions.

Alain Obadia : La sécurité d’emploi et de formation est un thème qui est aujourd’hui au cœur du débat politique, de la recherche d’alternative... Et nous avons effectivement besoin d’un débat de clarification : l’idée est même reprise, dévoyée par Sarkozy. Aller vers une véritable sécurité d’emploi et de formation, c’est aller vers une situation visant à éradiquer le chômage, dans laquelle le salarié ne puisse pas se trouver dans une situation autre que l’emploi ou la formation choisie débouchant vers un autre emploi. A notre sens il faudrait qu’il y ait pour assurer tout cela des institutions de sécurisation décentralisées mais aussi cohérentes au plan national qui puissent être la partie contractante. Notre vision de la sécurité d’emploi ou de formation est une vision dynamique qui permet une mobilité choisie et à chaque salarié d’être partie prenante dans une sécurité de revenu. C’est inséparable en effet d’une politique volontariste en matière d’industrie, de recherche, de création de services. Comment penser que l’on pourrait aller vers des formations débouchant sur un emploi, s’il n’y a pas d’emploi ? Cela nous mène vers le très grand chapitre de la politique macroéconomique. Nous sommes pour un crédit sélectif, pour des crédits bonifiés en direction des entreprises créant des emplois et proposons des fonds régionaux d’emploi, voire un fond national. Cette question doit se situer dans ce qui a été indiqué d’un nouveau partage entre les revenus du travail et les revenus du capital. Les entreprises, dans ces conditions, devront avoir une cotisation supplémentaire permettant d’assurer un financement mutualisé du système. Il faut recycler l’ensemble des crédits qui sont utilisés aujourd’hui dans les politiques de l’emploi mais aussi une partie important de l’argent utilisé pour les exonérations de charges patronales, dont on sait à quel point elles n’ont pas d’efficacité réelle.

Claude Debons : l’emploi est devenu une variable d’ajustement parce que ce n’est pas les gains de productivité liés aux nouvelles technologies qui, en l’espace d’une année, peuvent dégager 10 à 15% de profit. Mais cela ne peut pas durer indéfiniment. Arrive un moment où l’on a épuisé le cheval. Nous allons inévitablement vers un affrontement entre ceux qui accumulent les profits et la masse de ceux qui contribuent à les produire par leur travail mais qui n’en retire plus les fruits, même pas minimum. Dans cette perspective, il faut reprendre et rouvrir le chantier des droits nouveaux dans les entreprises, en redonnant aux salariés des instruments de contre pouvoir. Et je crois qu’il faut aller vers le droit de veto suspensif sur les licenciements, qu’il faut rétablir une autorisation administrative de licenciements qui permette de s’opposer aux licenciements dans les entreprises qui font du profit. Une telle politique est en rupture, partielle mais nette, avec les politiques dominantes aujourd’hui dans le cadre de l’union européenne. On ne fera pas l’économie d’une bataille politique au niveau européen. Nous devons réorienter les politiques dans l’UE et exiger une harmonisation des fiscalités sur les entreprises.

Laurent Fabius : Aucun économiste sérieux n’a démontré le bien fondé pour l’économie d’une aggravation de la précarité. Au contraire, c’est, à moyen et long terme, un élément de fragilisation des entreprises. On ne peut pas faire progresser une économie hautement développée comme la nôtre sur ces bases là. Nous ne disons pas qu’il ne peut pas y avoir d’exonérations de charges, mais il faut du donnant-donnant. L’argent public doit être utilisé pour favoriser le développement industriel, la croissance, la recherche, les emplois durables, au lieu d’abonnements des entreprises à ces exonérations. Tout cela exige concertation, négociation. S’agissant de la « sécurité professionnelle », il faut d’abord se mettre d’accord sur la finalité : il ne s’agit pas de proposer une espèce de super RMI, d’assistance supplémentaire. Ne séparons pas la démocratie institutionnelle et la démocratie sociale.

Jean-Christophe Le Duigou : Syndicalement nous souhaitons avoir beaucoup plus de pouvoir d’intervention en amont des décisions. Je connais un certain nombre d’entreprises qui aujourd’hui seraient fermées sans la contestation d’un certain nombre de choix. Quant à la sécurité sociale et professionnelle, ce n’est en effet ni super RMI, ni atelier national. Simplement aujourd’hui, il faut changer le fonctionnement du marché du travail. Le transformer à partir de l’idée que le passage à la case chômage n’est pas la chose qui apporte la solution dynamique que l’on est en droit d’attendre aujourd’hui du développement des capacités salariales. Le repartage de la valeur ajoutée doit se faire en fonction de la transformation du travail, elle ne pourra se faire à structure de qualification, de compétence ou de structure du travail d’il y a 20 ou 25 ans. Le repartage doit être lié à la révolution informationnelle, à la société de la connaissance. Il faut développer les capacités humaines des gens. On ne peut pas faire ça en laissant de côté les banlieues et en précarisant 10 millions de personnes. L’inégalité d’accès à la formation, la non-reconnaissance des qualifications, le fait qu’on ait 24 millions d’exonération de charges patronale qui poussent à des bas salaires, tout cela incite à une série de gâchis humains.

Alain Obadia : Nous sommes vraiment d’accord avec le principe des vetos suspensifs aux licenciements collectifs, afin de pouvoir examiner des propositions alternatives, permettant de ne pas aller vers les mesures souhaitées par les directions des entreprises et des groupes. Par ailleurs, il y a nécessité de responsabiliser socialement les entreprises, et c’est pour cette raison qu’il faut rétablir une commission de contrôle des fonds publics attribuées aux entreprises...Ce qui essentiel, c’est que nous puissions contester la stratégie des groupes, avoir des leviers d’intervention - je reviens sur la question des crédits et d’un pôle financier public - et de pouvoir s’opposer à ce qui est en train de monter, je veux dire la nouvelle vague des OPA, de restructurations, etc. qui ne touche pas que la France, qui est un phénomène mondial de recherche de profits dans une phase où le capital qui ne se place dans l’économie réelle est surabondant...

Laurent Fabius : Vous savez peut-être qu’une loi vient d’être votée par la droite à propos des OPA. Le gouvernement pouvait tout à fait éviter que seuls les actionnaires aient un pouvoir de décision sur les OPA, à l’exclusion des salariés. Or, le gouvernement a fermé toute possibilité d’intervention juridique aux salariés. Cela montre bien ce que vaut son fameux « patriotisme économique ».

Alain Obadia : Enfin, nous sommes hostiles à la pratique même des exonérations de charges patronales. Non seulement parce qu’il n’y a pas de contrepartie réelle, mais aussi parce que cela nous semble être fondamentalement un mécanisme pervers, qui par sa structure même pousse à des politiques de bas salaires dans les entreprises. En revanche, nous sommes sensibles à l’idée selon laquelle il faut pouvoir avantager des politiques d’entreprises de création d’emplois et c’est dans cet esprit que nous sommes pour créer un système de crédits sélectifs, de bonification de crédit lié à des création d’emploi. Il nous semble que pour le développement du pays, la création d’emplois et la situation des salariés ce serait un élément très positif.

Claude Debons : il faut réhabiliter la création d’emplois publics répondant à des demandes sociales non satisfaites. Réhabiliter l’emploi public, c’est à la fois une bataille idéologique et une bataille politique, exemples à l’appui. Dernier élément : on a évidemment beaucoup parlé de politique industrielle, de croissance pour lutter contre le chômage, etc. Je crois qu’il y a quand même un débat à ouvrir aujourd’hui sur ce que seraient les leviers d’un alter-développement. C’est à dire une développement qui ne soit pas le modèle productiviste libéral dont la finalité est la recherche du profit maximum, mais un modèle de développement qui réponde aux besoins sociaux, à l’intérêt général, qui se préoccupe pas seulement des résultats économiques à court terme, mais qui investisse sur le moyen et le long termes, etc.

Laurent Fabius : Le grand changement qu’on voudrait nous imposer, c’est que la précarité qui était aux marges du système en devienne le cœur. Le mouvement contre le CPE l’a fortement exprimé : nous refusons que la précarité soit au cœur du système. Cela a été la première expression syndicale et politique, la prise de conscience civique de beaucoup de jeunes. J’espère que ce sera fructueux pour les actions à venir. Nous n’avons pas eu aujourd’hui le temps de poser en détails la question du logement, pourtant fondamentale. Parmi les avancées que je souhaite développer dans le futur, il y a la notion très forte d’un droit au logement opposable, c’est-à-dire un droit concret pour chacun à un logement décent. La précarité forme un tout. Quand un élément se dérobe, c’est l’ensemble des conditions de vie qui s’écroulent. Et finalement c’est la personne humaine dont toute la vie devient précaire. Cette dérive-là, ce que certains appellent la « préca-réalité » comme on parle de la télé-réalité, je ne peux pas l’accepter.

Alain Obadia : Tout montre la nécessité impérieuse du débat citoyen pour construire des propositions alternatives d’un fort contenu anti-libéral, qui puissent assurer à la fois la victoire et la réussite de la gauche. Ce débat que nous menons, permet de nourrir ces propositions de l’expérience et des préoccupations de chacune et de chacun. C’est un apport irremplaçable.

Jean-Christophe Le Duigou : D’une part, il faut bien mesurer à quoi l’on est confronté, la force de ce que l’on a en face de nous. L’Etat est indispensable, mais il ne va plus suffire pour faire barrage à la pression. Il y a besoin donc besoin de créer de nouvelles institutions. D’autre part, nous devons maintenant clarifier ce que doivent être les nouvelles relations entre la politique et les organisations syndicales. Le syndicalisme s’intéresse à la politique et de près, mais n’a pas vocation à exercer le pouvoir, ni donc à co-élaborer un programme ou à être l’élément d’une coalition. Le syndicalisme doit assumer sa responsabilité dans le débat public, apporter un certain nombre de solutions mais aussi les bonnes questions, celles que l’on doit poser pour que la société ait la possibilité de choisir son avenir.


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