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RASSEMBLER A GAUCHE 83
2 mai 2006

"Je propose aux Français une République nouvelle"

ana_fabius_040930_afpInterview de Laurent Fabius dans le journal Le Monde logo_lemonde2

parution le 3 mai 2006

Que doit faire Dominique de Villepin après le témoignage du général Rondot dans l’affaire Cleastream ?

Il n’y a que deux choses claires dans cette affaire. La première est que ce gouvernement est carbonisé, la seconde que cette présidence qui a commencé dans le mensonge risque de finir dans la boue.

Vous avez vécu, comme premier ministre, l’affaire Greenpeace. Comment un homme d’Etat gère-t-il ce genre de situation ?

Cela n’avait, vous le savez, absolument rien à voir. Mais, je m’étais fixé une règle : j’ai exigé la vérité, j’ai fini par l’obtenir, et les sanctions nécessaires ont été prises. Dans cette épreuve, j’ai beaucoup appris.

Comment la démocratie s’accommode-t-elle des contingences des services secrets ?

Ils existent et ils doivent être au service de la Nation, pas d’un parti ou d’un clan.

Les juges peuvent-ils avoir le droit de perquisitionner au plus haut niveau ?

Oui, certainement.

Nicolas Sarkozy peut-il bénéficier de l’affaire Clearstream ? L’instrumentalise-t-il ?

Si c’est bien là l’énième épisode de la querelle venimeuse entre les chefs de la droite, alors je vois mal comment l’un d’eux pourrait tirer profit de cet UMP gate.

Les crises qui se succèdent, des banlieues au CPE, sont-elles révélatrices d’un problème institutionnel ou d’une pratique de la démocratie ?

La France vit une crise démocratique profonde. Le président ne préside plus, le gouvernement ne gouverne plus, le parlement parle à peine, et le peuple n’est plus entendu. On pourrait dire de ce régime : « Jacques Chirac l’a tué ». Les institutions sont fourbues. Il faut leur redonner des nerfs, grâce à une République nouvelle, - certains amis disent la 6e. La monarchie présidentielle irresponsable, la majorité écrase-tout, l’Assemblée croupion, tout cela doit se terminer. Pour relancer l’action, une vaste réforme institutionnelle est indispensable. Je souhaite proposer aux Français une République nouvelle.

Comment concevez-vous cette République nouvelle ?

Ses fondements seront soumis à référendum moins de six mois après l’élection présidentielle. Les rôles de l’Assemblée nationale et du Premier ministre seront renforcés, et celui du président recentré sur l’arbitrage, le long terme et les valeurs qui fondent la cohésion de la Nation. Pour assurer un Etat impartial, le Président ne sera plus membre du Conseil supérieur de la magistrature, ne nommera plus les membres du Conseil constitutionnel ou du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Il sera le garant des institutions, conservera le droit de dissolution en cas de crise, tracera l’horizon de l’action. Cette refondation démocratique s’étendra au territorial et au social, notamment aux responsabilités et à la représentativité syndicales.

Avec le quinquennat, on s’est arrêté à mi-chemin. Il faut une présidence responsable, supprimer le 49-3, introduire une part de proportionnelle, donner un statut à l’opposition et en finir avec le cumul étouffant des mandats. Il faut aussi un gouvernement paritaire, un vice premier ministre chargé des affaires européennes et une Charte sur la laïcité adossée à la Constitution. Enfin, je réfléchis à un mécanisme qui permettrait à une proposition de loi soutenue par plus d’un million de Français d’être examinée par le Parlement. Cette République parlementaire, stable et transparente sera l’un des grands enjeux du débat de 2007.

Le Fabius d’aujourd’hui est-il en contradiction avec le Fabius de 1983 qui a signé l’Acte unique et le Fabius de 2000 qui prônait les baisses d’impôts ?

Mes valeurs de gauche n’ont pas changé, mais je tire les leçons de l’expérience et d’un monde qui, lui, a changé. Le capitalisme familial, national, industriel est devenu mondial et financier. L’Inde, la Chine et l’Internet bouleversent tout. Les citoyens veulent davantage participer à la prise de décision. Dans ce contexte, alors que l’héritage chiraco-sarkoziste sera lourd à redresser, que les services publics sont à préserver et que la dette publique explose, il serait irresponsable de baisser les impôts.

L’Europe aussi a changé. Elle qui devait nous permettre de progresser et de protéger, ne le fait plus assez face à la mondialisation libérale : il faut donc la réorienter. Sur la zone euro, je lance une mise en garde. Ne faisons pas avec la monnaie unique la même erreur qu’avec l’Union : l’élargir avant d’avoir approfondi son fonctionnement et sa cohérence ! L’euro-groupe doit obtenir un rôle plus réel, la BCE favoriser une croissance durable et on doit parvenir à des convergences sociales vers le haut.

Sur l’immigration, Nicolas Sarkozy estime que vous êtes « irresponsable » de vouloir régulariser les sans-papiers.

Nous n’avons pas la même conception de la responsabilité. Les choix de M. Sarkozy, ce sont le karcher pour les quartiers, le charter pour les immigrés et le précaire pour l’emploi des jeunes. Sa loi sur l’immigration est inacceptable humainement, c’est un contre-sens. Si nous refusons les migrants, l’Europe s’affaiblira. Il faut chercher la bonne intégration de ceux qui sont sur notre territoire et mettre en œuvre une politique de co-développement. M. Sarkozy dit au Sud : « gardez vos femmes et vos enfants (« l’immigration subie »), nous vous prenons vos informaticiens et vos médecins (« l’immigration choisie ») ». Inacceptable ! Ensuite, le chef de l’UMP ment : il existe des milliers de déboutés du droit d’asile et de migrants clandestins, qui fuient la misère et la guerre ; si on ferme toutes les voies de régularisation, leur nombre augmentera ! En réalité, l’intéressé ne déclenche ce tintamarre que pour détourner le débat du social et draguer l’extrême-droite à l’approche de la présidentielle.

Vous êtes candidat à la candidature et pourtant vous êtes très bas dans les sondages.

Peut-être n’ai-je pas assez expliqué certains de mes choix. Plus fondamentalement, je constate que c’est à partir du moment où un socialiste est désigné que les choses se déterminent. En 1980, Mitterrand a progressé de plus de 20 points quand il a été désigné et, en 1995, idem pour Lionel Jospin. Le candidat désigné devient le champion de son camp, dès lors qu’il peut, par sa ligne politique, rassembler toute la gauche. Le PS en a fait l’expérience : les sondages ne sont pas les suffrages.

N’avez-vous pas un problème d’image ? Votre sincérité est souvent mise en doute, peut-être en raison de vos origines bourgeoises...

Mes électeurs de Grand-Quevilly qui me renouvellent leur confiance depuis plus de 25 ans ne me font pas ce genre de reproche ! Mon arrière-arrière grand-père était instituteur à Pont-à-Mousson. Mon arrière grand-père bonnetier. Mon grand-père est devenu antiquaire, puis mon père. Moi, après avoir eu la chance de mener de solides études, j’ai choisi le service public pour devenir ensuite, aux côtés de F. Mitterrand, parlementaire, ministre et Premier ministre. Je n’ai aucune raison de rougir de mon parcours. Cela s’appelle l’ascension républicaine

Je regrette que pour trop de Français l’ascenseur social ait fait place au « descenseur social ». Et je me bats pour changer cela. Par l’école, l’emploi, le logement, le pouvoir d’achat et une sécurité sociale durable.

La percée de Ségolène Royal vous paraît-elle durable ?

Je suis dans l’action, pas dans la divination ! Mais, je suis certain que les millions de personnes qui ont obtenu la suppression du CPE ne sont pas prêts au blairisme. Nos concitoyens attendent un vrai changement, éclairé par un vrai débat. Il doit avoir lieu dans le pays comme au PS, sans déchirement mais dans la transparence et l’équité. Quant à moi, je me suis donné un seul point fixe : agir pour rassembler la gauche et redresser la France.

Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Isabelle Mandraud


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