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RASSEMBLER A GAUCHE 83
22 juin 2006

Interview à VSD

lfvsd1"Pour ma part, c’est clair : je veux le changement.
Pas seulement sur la forme, sur le fond"

La première fois que Laurent Fabius a été élu à l’Assemblée nationale, il était très jeune. C’était en mars 1978, il allait fêter ses 32 ans, et parmi les élus, il était le benjamin. Pratiquement trente ans ont passé, et Laurent Fabius, qui fêtera ses 60 ans le 20 août prochain, est toujours député. « C’est vrai, convient-il en souriant, il y a assez longtemps que je suis dans le paysage. Est-ce que c’est un handicap ? C’est aussi l’avantage de l’expérience ! »
Il reçoit ses visiteurs dans un petit bureau de l’immeuble qui borde l’Assemblée et qui servait de siège, naguère, au RPR de Jacques Chirac. Du balcon qui borde ses fenêtres, on voit, un peu plus loin, l’Obélisque de la Concorde. Aucun nuage dans le ciel. Il fait chaud. Tout est calme.

- C’est la première fois dans votre longue carrière que vous êtes candidat à la présidence de République. Comment vous sentez-vous ?
  L’échéance est l’année prochaine, cela paraît encore lointain. Je crois que tout est ouvert. Entre la droite et la gauche. Et à gauche chez les socialistes aussi, tout est ouvert.

- La question c’était : comment vous vous sentez, vous ?
  Ah, moi, bien ! (il réfléchit) Je suis convaincu que mes propositions, issues des défis que nous attendent, sont en phase avec ce que ressentent beaucoup de Français. Intellectuellement et physiquement, je suis bien dans ma peau. En même temps, je sais que le chemin ne va pas être facile. Dans cette compétition présidentielle, j’ai à la fois des atouts et des handicaps.

- Alors, faisons la liste.
  (Il rit) Côté handicaps, les gens peuvent avoir le sentiment que je suis dans le paysage depuis pas mal de temps.

- Ca vous gêne vraiment ?
  Gêné, non, je me sens en forme. Mais conscient du besoin d’explication, oui. Je dois répondre sur le fond et dire ce que je retire de mon parcours pour 2007. C’est normal. (Il rit à nouveau).

- Bon, vos atouts ?
  Sans être présomptueux, on me crédite en général de, comment dire, la capacité à remplir la fonction. Je pense avoir une vision, la résistance et la volonté indispensables. Et puis, j’ai passé l’âge où l’on recherche les honneurs. Mon souci, c’est de contribuer à faire redémarrer la France. C’est indispensable.

- Vous êtes élu depuis bientôt trente ans. Pourquoi n’avez-vous fait que de la politique dans votre vie ?
  J’ai commencé la politique jeune aux côtés de François Mitterrand, c’est vrai, mais j’ai servi de plusieurs façons mon pays. Comme professeur puis comme magistrat au Conseil d’Etat. Ensuite comme parlementaire, maire, ministre et chef de gouvernement.

- Mais vous êtes toujours resté dans la politique.
  Oui, mais avec toujours un regard très ouvert sur la société. Je ne ressens pas d’addiction à la politique. Je ne souffrirais pas si je n’en faisais plus, mais je regretterais sûrement de n’avoir pas pu mettre vraiment en œuvre la politique que je crois bonne pour la France.

- Avez-vous failli abandonner, un jour, pour faire autre chose ?
  Oui, quand j’étais président de l’Assemblée nationale (Il l’a été de 1988 à 1992, puis à nouveau de 1997 à 2000. C’est cette seconde période qu’il évoque ici.) La tâche est honorable et même honorifique, mais pas assez tournée vers l’action. Je me suis dit que je pourrais être plus utile ailleurs, dans une organisation internationale ou humanitaire, une entreprise, enfin, il y avait différentes possibilités...

- A l’époque, c’était en 2000, on avait évoqué la présidence du Fonds monétaire international.
  Oui, puis je suis devenu ministre des finances, alors...

- C’était dans le gouvernement Jospin. Donc, c’est grâce à Lionel Jospin que vous faites encore de la politique ?
  C’est un raccourci audacieux... Nous sommes différents, mais je respecte Lionel Jospin et c’est réciproque. Sa défaite en avril 2002 et la montée du Front National m’ont fortement poussé à réagir.

- Vous êtes un personnage public respecté, Laurent Fabius, mais vous n’êtes pas, et vous avez rarement été, populaire.
  Inévitablement, au cours de mon parcours, ma popularité a varié. Imaginez qu’on a même dit que j’étais l’homme le plus sexy de France, ce qui rend philosophe par rapport aux mouvements d’opinion ! Un point fixe toutefois : ma ville de Grand-Quevilly et ma circonscription de Seine-Maritime. Là-bas, on me connaît bien, mieux en tout cas.

- Trouvez-vous que c’est injuste ?
  C’est la contrepartie de l’engagement public. J’ai une part de responsabilité dans cette relative méconnaissance. Je suis assez discret, on pourrait dire pudique, je ne mets pas ma vie personnelle, ni mon affectivité, sous les projecteurs. Et je ne changerai pas ma conduite pour « grapiller » cinq points dans les sondages ! C’est ma façon, respectueuse, d’être moi-même avec les Français.

- Vous avez traversé l’épreuve de l’accusation, puis du procès, dans l’affaire du sang contaminé. Croyez-vous que, malgré la reconnaissance établie publiquement de votre innocence, il en reste encore quelque chose dans l’opinion publique ?
  C’est possible. Quand un drame terrible comme celui-là survient, il marque l’opinion. Même s’il a été reconnu ensuite que j’avais en réalité sauvé des vies en prenant très tôt les décisions justes.

- Le parti socialiste vient d’adopter son programme en vue des prochaines échéances. Certains disent qu’il va coûter très cher et que les impôts vont flamber. C’est vrai ?
  Je ne suis pas un démagogue. Quand nous engageons des dépenses, il faut mettre des recettes en face. Elles viendront de la croissance, de la fin de nombreux cadeaux fiscaux faits par ce gouvernement aux contribuables les plus fortunés, et aussi de la fin d’exonérations de charges qui ne produisent aucun effet positif sur l’emploi.

Certaines dépenses seront indispensables : emploi, éducation, recherche, environnement, ... Si je suis désigné comme candidat à la présidence de la République, je dirai la vérité aux Français notamment sur ce sujet précis : le vieillissement. Ce sera le défi des prochaines années, avec les traitements coûteux des maladies liées au grand âge, la modernisation des maisons de retraites, la prise en charge des personnes âgées à leur domicile, qui seront de plus en plus nombreuses. Régler cet immense problème exigera un effort de la solidarité nationale.

- Comment financer tous ces projets et tous ces chantiers avec des finances publiques gravement déficitaires et une dette qui ne cesse de s’alourdir ?
  La situation est effectivement dégradée et le gouvernement actuel, recordman de la dette, est mal placé pour nous le reprocher.

- La gauche aussi a sa part de responsabilité. La France a connu vingt-cinq ans de déficits consécutifs, quelles que soient les majorités en place. Oui, mais avec des déficits nettement plus lourds dus à la droite. Le record des alourdissements de déficit date des passages à Bercy de M. Sarkozy. Quoi qu’il en soit, cette dette ne devra pas être alourdie mais peu à peu réduite.

- Dans votre programme, vous promettez la fin du cumul des mandats. Pourquoi ?
  Pour que la démocratie soit plus forte. Le parlement a besoin d’élus qui se consacrent complètement à leurs tâches. Le mandat unique est le moyen d’y parvenir.

- Il vous en a fallu du temps pour vous apercevoir de ce que beaucoup de gens dénoncent depuis longtemps comme un problème.
  J’avais déjà limité le cumul par une loi. Mais il faut aller plus loin. Le cumul des mandats est un système dépassé.

- Etes-vous surpris la volonté dont fait preuve Ségolène Royal dans cette phase de pré-campagne ?
  La volonté se juge sur la durée. Pour ma part, c’est clair : je veux le changement. Pas sur la forme, sur le fond.

- Qu’est-ce qui vous sépare d’elle ?
  Ce qui m’importe, c’est la ligne politique.

- Pourquoi ?
  Parce que je veux d’abord me confronter aux problèmes du pays, pas à tel ou telle camarade. Le temps du débat viendra.

- Etes-vous différent d’elle ?
  Nous avons certaines différences, par exemple, me semble-t-il, sur la laïcité, le rôle de l’Etat et ce que devront être nos priorités en 2007. Mais Je ne connais pas encore ses idées sur des problèmes décisifs, notamment comment faire face à la mondialisation financière, ou sur les enjeux européens, ni sur d’autres aspects essentiels. J’espère que les débats que nous aurons avant le choix des militants, nous éclaireront sur ces points et sur beaucoup d’autres.

- A vous entendre, on a l’impression que vous ne la connaissez pas, que vous la découvrez.
  Elle était conseillère à l’Elysée il y a déjà longtemps, et déjà Ministre en 1992, mais c’est vrai que nous n’avons pas eu l’occasion de passer beaucoup de temps ensemble, d’échanger.

- S’agit-il, pour vous, d’une concurrente sérieuse ?
  Bien sûr. Et totalement estimable.

- Sur quoi les militants socialistes vont-ils vous départager ?
  Sur la réponse à cette question de fond : qui est le plus capable de redresser le pays ? C’est la question décisive.

- Vous pensez être plus capable qu’elle ?
  Chacun a ses qualités. Pour ma part, je présente un projet, une expérience, une sensibilité, une volonté d’éviter à la France un quinquennat au kärcher avec N. Sarkozy. A moi de faire partager mon envie, mes espoirs, ma combativité. Je veux un changement à gauche, avec toute la gauche. L’aspect personnel, lui, est indéfinissable.

- Indéfinissable ?
  Oui. C’est un rapport subjectif entre le candidat et ceux qui doivent le désigner. C’est la raison pour laquelle j’attache une grande importance aux débats qui auront lieu entre nous. Parce qu’il ne devra pas y avoir de faux-fuyants, ni de faux-semblants. Ces débats devront être des moments de vérité.

- Irez-vous jusqu’au bout de votre démarche ? Ou bien des circonstances peuvent-elles vous amener à vous retirer de cette compétition ?
  Je continuerai mon chemin tranquillement.

- Jusqu’au bout ?
  Bien sûr.

- Si vous n’êtes pas désigné par votre parti, l’accepterez-vous ?
  Oui.

- Ce sera une frustration ?
  Ce sera une déception. Mais ce n’est pas l’hypothèse que je retiens.

- Certains disent que si vous n’êtes pas désigné, vous serez candidat à la présidence de la République en dehors du parti socialiste. Est-ce possible ?
  Non.

- Pensez-vous que d’autres candidats pourraient se déclarer au sein du parti socialiste ?
  Oui, c’est possible, mais ce ne sont pas des noms inconnus.

- On pense aux mêmes ?
  « Même », vous mettez cela au singulier ou au pluriel ?

- Choisissez.
  Ceux qui ont dit : « je serai candidat » le seront. Ceux qui ont dit : « je ne serai pas candidat » ne le seront pas.

- Donc, selon vous, Lionel Jospin ne sera pas candidat ?
  Je parie sur la sincérité. Lionel Jospin le mérite.

- Quel jeu joue François Hollande aujourd’hui ?
  Ce que je souhaite, c’est qu’il remplisse son rôle de premier secrétaire de façon équitable et franche. Il faut que le PS fonctionne bien, que les candidats puissent mener campagne dans des conditions impartiales et que les militants tranchent de façon sereine.

- C’est votre souhait. Ce n’est donc pas la réalité.
  C’est ce que chaque socialiste est en droit d’attendre.

- On en déduit donc qu’il ne le fait pas.
  Je vous ai répondu.

- Ces questions vous agacent ?
  Pas du tout.

Il rit, et poursuit :
  Au début hein...

Il a prononcé ce « hein » comme le faisait jadis François Mitterrand...
  ... ce genre de questions m’agaçait parce qu’elles sont à des années-lumières de ce qui intéresse les Français et de ce qui m’intéresse vraiment... Mais j’ai appris. J’ai mûri. Oui, notre pays a beaucoup d’atouts. Oui, il peut et il doit repartir de l’avant. J’ai confiance.


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